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#Tax & Legal #Business Legal #Donation #Actions #Droit Des Sociétés

La donation par le registre des actions : valable ou non ?

Vendredi 18/10/2019
Schenking van aandelen door aanpassing van het aandelenregister

Une donation d'actions peut-elle être prouvée à l'aide de l'adaptation du registre des actions ? Beaucoup d'encre a déjà coulé à ce sujet, mais à présent il y a une sentence intéressante de la Cour d'appel d'Anvers.

Il s'agit en l’espèce d'un couple non marié dont l'homme possédait initialement toutes les actions d'une SPRL dans laquelle le couple travaillait ensemble.

En 2010, Monsieur a transféré une action de cette SPRL à Madame ; l'unique pièce qui a été établie à cet égard était une adaptation du registre des actions.

En 2011, il a été établi une convention de vente dans laquelle Monsieur vendait un certain nombre d'actions à Madame pour un peu moins de 5.000 EUR. Le registre des actions a été adapté conformément à ce changement.

Après une rupture de la relation, Monsieur souhaite récupérer toutes les actions transférées et affirme que les deux cessions ont constitué des donations. Il s'adresse au tribunal pour faire annuler les donations.

La vision classique

Traditionnellement, on soutient (du moins dans la partie néerlandophone du pays) qu'une donation d'actions nominatives ne peut être effectuée que par un acte de donation notarié (article 931 C. civ.).

L'acte notarié est en effet la forme de base pour la donation. Notre droit connaît certes quelques exceptions à cette règle, à savoir le don manuel, la donation déguisée et la donation indirecte. C'est cette dernière exception qui revêt ici de l'importance.

Lors d'une donation indirecte, les parties réaliseront le transfert de propriété d'un bien par un acte juridique qui est neutre en soi (il ne trahit pas s'il s'agit d'une donation ou d'un échange, une vente,...), après quoi ils confirmeront ultérieurement par écrit, au besoin, que ce transfert a constitué une donation. Dans notre cas, la cession d'une action par simple inscription dans le registre des actions doit être vue comme une donation indirecte. Ci-dessous, nous examinons de plus près cette forme de donation.

La donation indirecte d'actions nominatives – deux portées

Au centre figure la question de savoir si la modification qui est apportée dans le registre des actions implique en elle-même un transfert de propriété, ou bien si elle implique seulement l'exécution ou la confirmation d'une cession de ces actions réalisée antérieurement.

La première portée est que l'inscription en elle-même est translative de propriété, et se fonde ici sur l'article 504 C. Soc. (ancien !), qui stipule que :

 « La cession des titres nominatifs s'opère par une déclaration de transfert inscrite dans le registre relatif à ces titres, datée et signée par le cédant et le cessionnaire ou par leurs fondés de pouvoir. » Pour la SPRL, une disposition similaire était prévue dans le Code des Sociétés, à savoir à l'article 250 C. Soc.

Si donc – selon une première portée – la cession des actions « s’opère » par la déclaration de transfert inscrite dans le registre, ce registre fournit dès lors un titre de propriété. Selon cette portée, l'inscription est translative de propriété et peut donc constituer une donation valable.

La deuxième portée est toutefois que l'article 504 C. Soc. a (ou : avait) une portée qui ne correspond pas à la lecture littérale de ses termes. Cette portée soutient que l’inscription dans le registre n'est qu'un moyen de preuve d'une cession d'actions réalisée antérieurement. Et cette cession doit alors être effectuée dans le respect des règles qui la régissent. Le transfert de propriété par un achat-vente peut s'opérer entre parties par un simple accord de volontés. L'inscription sert alors d'opposabilité à la société et aux tiers.

Pour un transfert valable par donation entre parties, un acte de donation notarié est toutefois requis. La cession par remise en mains propres n'est pas possible pour les biens incorporels. Cela signifie que – dans la deuxième portée – la donation d'actions doit être effectuée par acte notarié et qu'ensuite le registre des actions est adapté pour le faire concorder avec la situation après donation.

Cette deuxième portée est qualifiée de classique dans la partie néerlandophone du pays.

Intermezzo – le nouveau droit des sociétés

Le problème semble – du moins en partie – reposer sur une lecture (jugée trop large par certains) du Code des Sociétés, là où ce dernier stipulait que la cession de titres « s'opérait » par l'inscription dans le registre.

Le nouveau code des sociétés lève déjà le doute : la cession des actions doit être effectuée selon les règles du droit commun et l'inscription dans le registre ne sert qu'à l'opposabilité.[1] L'inscription n'est donc pas translative de propriété.

Cela semble déjà confirmer la seconde portée !

L'arrêt de la Cour d'appel d'Anvers du 12 juin 2019

La cour devait statuer sur deux cessions d'actions : la cession qui ressortait exclusivement de l'inscription dans le registre des actions et la cession réalisée à l'occasion d'un contrat de vente.

a) la cession qui ressortait uniquement du registre des actions

Monsieur a affirmé que cette cession avait constitué une donation, laquelle était nulle au motif que la prescription de forme de l'article 931 C. civ. n'avait pas été respectée. En effet, il n'avait pas été établi d'acte de donation notarié pour cette donation. Dans la vision classique, on aurait estimé que le registre donnait uniquement exécution à une cession réalisée antérieurement, laquelle aurait dû être effectuée par acte notarié s'il s'agissait d'une donation. Et étant donné que les parties confirment que l'action a été transférée à titre de donation, et qu'aucun acte notarié n'était présent, la donation aurait été annulable.

Dans le présent arrêt, la cour suit toutefois une autre voie. La cour commence par une lecture littérale de l'article 931 et affirme qu'il n'est pas question d'un acte portant donation tel que visé à l'article 931. La cour soutient en effet qu'un « acte » implique qu'il existerait une convention écrite contenant la donation : si une telle convention existe, elle doit avoir pris la forme d'un acte notarié, et ce à peine de nullité. Mais la cour parvient à la constatation qu'un tel acte n'est pas présent, de sorte qu'il n'est pas question de nullité.

Ensuite, la cour renvoie à l'article 938 C. civ. qui dispose que : « La donation dûment acceptée sera parfaite par le seul consentement des parties ; et la propriété des objets donnés sera transférée au donataire, sans qu'il soit besoin d'autre tradition. » La cour lit ici que – une fois que les parties sont d'accord sur l'objet et les modalités – la donation est accomplie par le simple accord de volontés.

Ainsi, l'inscription dans le registre est - selon la cour - la simple confirmation d'une donation réalisée par un accord de volontés, et la donation est déclarée valable.

Petite remarquecet arrêt suscitera sans aucun doute les commentaires nécessaires. Dans cette contribution, nous nous limitons à la constatation que l'article 938 C. civ. renvoie en effet à l'accord de volontés, mais qu'il dispose néanmoins aussi que la donation est accomplie une fois qu'elle a été dûment acceptée. Et l'article 932 C. civ. exige de nouveau que l'acceptation de la donation ait lieu par acte authentique. Le recours de la cour à l'article 938 C. civ. sans y impliquer l'article 932 C. civ. est à qualifier à tout le moins d'étrange, puisqu'il s'agit de biens incorporels qui ne peuvent être transférés par remise en mains propres…

b) la cession qui ressortait du contrat de vente

La cour constate que l'homme a expressément accepté dans le contrat que les actions étaient vendues à un prix déterminé. Monsieur a donc accepté à la fois la qualification de l'acte (vente) et le prix.

La cour comprend qu'une donation déguisée a peut-être eu lieu en réalité, mais exige que Monsieur en apporte la preuve. Et selon le droit des preuves en vigueur, cette preuve ne peut être apportée que par aveu, par serment ou par un écrit. Une contre-lettre (de laquelle il ressortirait qu'il s'agissait en réalité d'une donation) n'était pas présente.

Monsieur n'y parvient pas, de sorte que cette cession d'actions reste qualifiée de vente. La cour ne devait dès lors plus se prononcer sur la validité d'une donation.

Conclusion

Monsieur s'est mis dans de sales draps. En vendant des actions en dessous du prix avec une convention de vente écrite, il s'est quasiment mis dans l'impossibilité d'encore invoquer qu'il avait en fait effectué une donation. En inscrivant simplement une action au nom de Madame, sans plus, il a pris un risque ; en effet, il est classiquement accepté qu'aucune donation valable n'était présente. Les meilleurs conseillers déconseillent dès lors ce procédé.

Le nouveau droit des sociétés semble remettre davantage en cause ce procédé, puisqu'il renvoie explicitement au droit commun pour la cession d'actions et n'octroie qu'une valeur probante au registre.

Celui qui envisage des donations d'actions, doit en substance toujours recueillir un avis spécialisé, afin que des mesures correctes puissent être proposées sur la base des circonstances.

[1] « Le transfert de titres s’opère selon les règles du droit commun. Un transfert de titres nominatifs ne peut être opposé à la société et aux tiers que par une déclaration de cession, inscrite dans le registre des titres concernés et datée et signée par le cédant et le cessionnaire ou par leurs fondés de pouvoir en cas de cession entre vifs, et par un membre de l'organe de gestion et les ayants droit ou par leurs fondés de pouvoir en cas de cession pour cause de mort. »

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Karolien Vanmeerhaeghe

Karolien Vanmeerhaeghe

Director Tax & Legal Services

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